Ils partageaient un très bon moment, le père et le fils, étendus sur l'herbe encore fraîche de l'été, près la joute. Le jeune garçon maniait le verbe avec une adresse qui aurait étonné le plus habile des clercs, et c'était non sans une grande fierté que l'Hérisson écoutait son cadet discourir. En sus d'une maturité surprenante pour un jouvenceau de son âge, Emery semblait très bien savoir où il souhaitait conduire sa pensée, et par là son auditoire, bien qu'en l'occurrence il ne fût composé que de son paternel.
Tu sais fils, loin de dénigrer la vie que tu mènes à Challiers, empreinte d'un caractère bucolique enclin à ravir tout un chacun, tu es parvenu à un âge où il te faut maintenant faire violence et entrer dans le monde. Faute à moi de ne t'avoir pas assez tôt enlevé à ta mère, pour t'initier au monde du dehors. La vie paisible de la campagne n'est bonne que pour les filles et les femmes, ou pour les hommes ayant tout vu ou presque du monde, et n'aspirant plus qu'à goûter au repos en une demeure retirée, catégorie dont je commence malgré moi à faire partie. Mais toi Emery, tu entres dans cet âge où l'on se doit de tout découvrir, l'exercice des armes comme celui des lettres. L'entrée dans ce monde-ci ne se peut faire sans heurts, c'est chose certaine, mais à ton âge on peut tout endurer.
Voilà pourquoi désormais, j'exige que tu m'accompagnes dans toutes mes démarches, dans toutes mes visites ou entreprises militaires, car il te faut apprendre, fils.
Ton frère aîné lui a déjà bénéficié de cet apprentissage avec ton oncle, et si mon coeur est peiné de n'avoir pu prendre en main ses leçons, mon âme ne peut qu'être rassurée par la qualité de l'apprentissage par lui reçu.
Voilà longtemps que le vicomte n'avait pas discouru avec autant d'honnêteté, mais mieux valait que le jeune seigneur sache dès maintenant ce qui l'attendait, et se fasse à cette idée.
Emery abordait maintenant le thème de la famille. Ah, les Marigny.
Je comprends tes inquiétudes quant au fait que nous ne voyions pas assez notre famille. mais il te faut également savoir que souvent les circonstances ne jouent pas en notre faveur ainsi qu'en celle de la rencontre. En effet, il y a deux occasions en lesquelles on rencontre ordinairement les membres de sa famille: les cérémonies officielles, et les visites d'intérêts. Au-delà de l'amour porté à notre famille, il ne faut pas écarter que ces relations peuvent servir, soit à l'apprentissage, tu en es l'exemple avec ton parrain Jazon, soit à l'avancée de la situation.
Ainsi, en toutes choses, ne pas perdre de vue les raisons qui nous poussent à agir de la manière dont nous agissons. C'est un peu alambiqué je te le concède, mais c'est ainsi qu'un homme doit conduire sa pensée.